Enfermés suite à leurs crimes, les aventuriers patientent dans les geôles du Fort Carsioli que l’homme qui a mis leur tête à prix vienne les trouver.

Yassindo Vittori se présente devant eux avec un marché, mettant leur éthique et leur honneur à l’épreuve.

Voilà le chapitre 27 de l’aube d’une nouvelle ère. Une longue négociation et une remise à plat pour les aventuriers, face à un marchand qui ne se laisse certainement pas démonter.

D’ailleurs, j’en ai profité pour changer la rédaction du texte. Chaque dialogue est à présent entre guillemets, les pensées sont simplement en italiques. Je pense que c’est un peu plus clair.

 


Chapitre 27 : Négociations

Aren n’appréciait guère l’homme qui venait d’entrer dans la salle des gardes. Il correspondait à la description faite par Emil. De longs cheveux bruns et lisse, la trentaine, et souriant. Yassindo Vittori dans toute sa splendeur. Cependant, le regard de l’humain le dérangeait. Ses précieux atours et ses bijoux ne cachaient pas son avarice. Il voyait leur groupe comme une simple ressource à être dépensée, de vulgaires outils à utiliser selon son bon vouloir.
— “Bien bien bien !” Commença Yassindo Vittori, s’asseyant à leur table, face à eux. “Voici donc mes nouveaux esclaves.”
— “Je ne te—” Hurla Aren en réponse, prêt à faire appel à sa magie.
Hors de sa cellule qui restreignait ses pouvoirs, le mage pouvait aisément orchestrer leur évasion. Un premier sort pour éliminer les gardes qui les tenaient en joue avec leurs arbalètes. Hugoi et Lily en profiteraient sûrement pour s’occuper d’Ifkès. Ils garderaient le maître du Port massiglien en dernier, il ne semblait pas bien dangereux. Visualisant ses pics de terre, Aren fut interrompu dans sa concentration.
— “Arrête, Aren !” Tonna Emil, mettant son bras devant l’elfe. “Tu vas nous faire tuer !”
— “On l’appelle plus maître nageur ?” Remarqua Lily.
Aren, stupéfait par la réaction de l’ingénieur, tourna la tête dans sa direction. Le corps de l’homme était tendu, et il suait à grosses gouttes. Son regard tremblait à la vue de Yassindo Vittori, et il n’osait pas le quitter du regard. Comme si le moindre clignement de paupières pouvait conduire à l’éradication de leur groupe.
— “Emil…” Chuchota le mage, se calmant progressivement. “Tu en assumeras la responsabilité.”
Si son impétueux camarade craignait tant le marchand, alors il agirait lui aussi avec prudence. Effrayer Emil Nesidri n’était pas une prouesse à la portée de tous.
— “Parfait parfait !” S’exclama Yassindo. “Un magicien capable de réagir rapidement sans perdre son sang-froid en dépit des provocations, un chevalier magique prêt à envoyer la table voler d’un coup de pied, et une gamine qui cachait encore une dague sur elle. Personne ne l’avait remarqué en deux semaines, petite ?”
— “Ah.”
— “Tu vas me la prendre ?” Demanda Lily, le regard cauteleux.
Hugoi et la jeune elfe réagirent avec prudence aux paroles de Yassindo, qui avait tout deviné de leurs intentions. Pour Aren, le choc fut suffisant pour le tétaniser sur sa chaise. Ce marchand, frêle et insouciant, les dominait simplement en les regardant.
— “Ifkès, fous donc tes larbins dehors, s’il te plaît.” Demanda Yassindo, alors que les deux gardes hésitaient à entreprendre des actions punitives à l’encontre du groupe.
— “Vous avez entendu le client ? Dégagez.” Ordonna le vieux guerrier. “Et vous allez m’attendre tous les deux dans la première salle d’entraînement. Je vais vous apprendre à boire pendant le service.”
— “Bien maître !” Répondirent d’une voix les deux hommes, rangeant leurs arbalètes au râtelier avant de quitter la pièce au pas de course.
— “Soyez indulgent,” fit Hugoi. C’était leur dernière bouteille, j’ai confisqué les autres dans ma cellule, je leur ai interdit de s’en approcher.
— “Ivrogne.” Lâcha Lily d’un soupir.
— “Un prisonnier ne devrait pas avoir à leur apprendre la modération,” cracha Ifkès, agacé.
— “Passons aux affaires,” déclara Yassindo, ramenant le calme à la table. “Emil, ça faisait longtemps.”
— “Quelques mois seulement, monsieur Vittori.”

L’attitude servile de l’ingénieur alarma le groupe, qui retrouva toute sa tension. Emil ne semblait pas vouloir négocier quoi que ce soit avec Yassindo Vittori, et attendait les ordres, déjà vaincu.
— “Tu m’avais manqué Emil. Tu ne peux pas imaginer quelle fût ma joie d’apprendre ta survie.”
— “Il ne fallait pas vous inquiéter…”
— “Oh, je te rassure,” continua Yassindo d’une voix toujours enjouée. “La colère a rapidement remplacé cette joie, lorsque j’ai appris que tu as tué l’émissaire de l’oracle à Caromago, sans compter les lourds dégâts infligés à la ville. Une ville où la guilde a beaucoup investi.”
Yassindo commença à applaudir doucement, le regard toujours imperturbable. Les aventuriers sentirent leurs tripes se serraient à chaque fois que les mains du marchand s’entrechoquaient.
— “Il y a une excellente raison à cela,” tenta l’ingénieur. “Laissez-moi vous expliquer.”
— “Non.”
— “Ah, dommage.” Condéda Emil. “Les coûts des réparations… ?”
— “Seront bien évidemment ajoutés à ta dette. Je n’ai pas terminé le chiffrage ; attends-toi à la voir considérablement enfler.”
— “Clochard,” cracha Lily sans la moindre considération.
— “Je ne ferais pas la fière à ta place, jeune fille” continua Yassindo. “Vous êtes tous mes captifs. Il me suffit de présenter vos crimes à la guilde des comptoirs pour vous forcer dans un contrat à vie.”
— “En quoi ça consiste ?” Demanda Hugoi, ignorant le fonctionnement de Lonesam.
— “Vous entrerez dans la guilde du Port massiglien,” expliqua Emil. “Vous serez aux ordres de monsieur Vittori, et comme le laisse deviner le nom du contrat, vous lui obéirez jusqu’à la fin de votre vie.”
— “De l’esclavage…” Fulmina Aren.
— “Oh, pas de leçon de morale, elfe de Dafaorn,” s’amusa Yassindo. “Ton peuple s’est amplement servi dans notre population par le passé pour accomplir les tâches les plus ingrates, ou satisfaire leurs désirs. Je ne compte pas vous traiter aussi mal.”
— “J’ai une question,” fit soudainement Lily, semblant comprendre quelque chose. “Je vais vivre beaucoup plus longtemps que toi. Je suis libre si je te tue ? Enfin, si tu meurs de vieillesse ?”
— “Tu te trompes.” Coupa le maître du Port massiglien, pas perturbé le moins du monde par la menace de mort de l’assassin elfe. “Le contrat vous liera à la guilde jusqu’à la fin de vos vies. Mes successeurs hériteront de vos services.”
— “Emil !” S’emporta finalement la jeune elfe, révélant sa dague enchantée. “Tu nous as demandé de nous laisser faire, et ton plan, c’est de faire de nous les larbins de ton maître ?!”
— “Non, laisse-le finir.” Tempéra l’ingénieur, alors que le métal de la lame approchait dangereusement de sa nuque.
— “Petite, donne-moi ta dague,” Demanda Yassindo.
— “Pas question !”
— “Allons allons, si tu deviens mon esclave, je te la confisquerais tôt ou tard. Je vais seulement te l’emprunter.”
— “Pour me planter avec ! Et ensuite, tu vas la revendre !” S’entêta la jeune elfe.
— “L’argent n’est pas un problème. Et tu es une petite magicienne entraînée à l’assassinat. Un modeste marchand essayant de te poignarder sans le moindre effet de surprise est-il vraiment une menace ?”
— “Lily, obéis pour le moment,” conseilla Aren.
— “Au pire des cas, je lui casse la bouche.” Affirma Hugoi.
Ifkès s’avança d’un pas, et le chevalier magique se leva, brisant au passage les dernières chaînes qui l’entravaient. Les deux hommes se toisèrent, prêts à en venir aux mains.
— “Ifkès, tu ne seras pas payé si tu l’abîmes sans mon accord,” déclara Yassindo.
— “Comme tu veux.” Lâcha le vieux guerrier, reprenant sa position initiale. “La guilde de l’Épée des flammes ne sera pas tenue responsable si les prisonniers décident de te tuer.”
— “Nous verrons.”
— “Faible.” Railla Hugoi, avant de se rasseoir à son tour.

Lily hésita, avant de décider de laisser sa précieuse arme entre les mains de Yassindo. Cet homme était manifestement une importante personnalité de Lonesam, et son avenir se trouvait entre ses mains. Puisque s’échapper n’apparaissait plus possible, autant lui obéir.
— “Oh oh… Sacré jouet que tu tiens là.” Analysa le marchand. “Cette dague ne date pas d’hier au vu de son style ; elle a pourtant conservé tout son tranchant. Et ces gemmes incrustées… C’est lors de vos activités d’aventuriers que vous l’avez trouvé ?”
— “Oui, dans des ruines pas loin d’ici, répondit la jeune elfe.”
— “Intéressant, intéressant…”
Yassindo poussa alors un léger grognement, et la dague se lézarda d’éclairs, alimentée par le mana de son porteur.
— “Jette ça Yassindo !” Tonna Ifkès, montrant toute son hostilité envers l’arme qu’il reconnaissait à présent comme magique.
— “Non. Ca te pose un problème ? Peut-être devrais-je aussi laisser tes factures dans des poches, et abandonner l’idée même de te payer ?”
— “Pas de magie dans mon fort.” Insista Ifkès, le regard dur.
— “Bien, bien, regarde, je lui rends.” Fit le maître du Port massiglien, en faisant glisser l’arme sur la table jusqu’à sa propriétaire.
— “Monsieur Vittori… Vous êtes…” Commença Emil.
— “Peu importe. J’ai pu vérifier quelques points d’intérêts. Vous n’êtes pas de simples demeurés, je vais pouvoir vous proposer un marché. Un échange de bons procédés en quelques sortes. Vous me rendez un service, et j’oublierais les tracas que vous m’avez causés.”
— “Même moi ?”
— “Non, pas toi Emil.” Rétorqua Yassindo.
— “De quel type de service parlons-nous ?” S’inquiéta Aren.
— “Oh, rien de bien folichon,” répondit le maître du Port massiglien d’un ton enjoué. “Une mission dans les cordes d’aventuriers tels que vous. J’irais même jusqu’à dire que vous êtes des spécialistes de la matière. Surtout toi, Lily.”
— “Dis toujours.” Répondit la jeune elfe sans animosité.
— “Bien sûr bien sur. Il s’agirait de tuer quelqu’un pour moi. Vous voyez, rien de bien exceptionnel.”
— “Oh chouette ! Un assassinat !” S’enjoua Lily.
— “Hors de question !” Refusa quant à lui Aren.
— “Nous ne sommes pas ce genre d’aventuriers,” renchérit Hugoi. “Si vous cherchez des criminels, vous ne vous adressez pas à la bonne compagnie. Nous n’acceptons pas ce genre de contrats.”
— “Maintenant oui.” Contesta Emil. “Monsieur Vittori nous offre une chance d’effacer nos conneries, on devrait la saisir.”
— “Peut-être que les conditions sauront vous motiver, je suis sûr que nous pouvons trouver un terrain d’entente,” continua Yassindo.
— “Il n’y a rien à voir. Et toi !” Fit Aren en pointant Ifkès du doigt. “N’es-tu pas le maître de la guilde qui loge dans ce fort ? L’Épée des flammes n’est-elle pas le bras armé de la justice dans ce pays ? Comment, en tant que garant de la sécurité des citoyens de Lonesam, peux-tu laisser cet escroc proposer un assassinat à tes prisonniers ?”
Hugoi approuva d’un hochement de tête, alors qu’Emil prit son visage entre ses mains. Le mage ne comptait pas un vulgaire marchand dicter le code éthique de leur groupe, qui portait sur ses épaules le poids d’une mission divine. Il ne participerait pas à une telle vilité.
— “Ma guilde acceptera ce contrat si vous refusez,” assura finalement Ifkès. “Yassindo paye bien, et il honore tous ses contrats du moment qu’on ne viole aucune de ses conditions.”
— “N’avez-vous pas honte ?!”
— “Un contrat est un contrat.”
— “Aren, ce sont des mercenaires.” Rappela Emil. “La seule loi est celle de l’argent. Ils ne s’embarrassent pas d’éthique. C’est la raison pour laquelle notre alliance avec les chevaliers magiques de Vernor était si fragile. On avait que notre race en commun.”
— “Nous ne sommes pas venus à Lonesam pour devenir des assassins !” Tempêta le mage. “Nous valons mieux que ça, nous avons des problèmes urgents à régler.”
— “Parlons-en, de ces problèmes.” Intervint alors Yassindo, reprenant le cours de la conversation à son compte. “Peut-être que je pourrais vous aider à en résoudre un ou deux. Pourquoi êtes-vous venus dans cette région ? Quelles sont vos motivations ?”
— “Pourquoi devrions-nous te le dire ?” Interjecta Hugoi. “Je partage l’avis d’Aren. Nous ne traitons pas avec les criminels, ou les magouilleurs de ton genre.”
— “Oh, peut-être que si nos intérêts s’alignent, vous saurez mettre de côté cette droiture qui vous ferme tant de portes.”
— “Je ne te fais pas confiance, humain. Ce que nous entreprenons te dépasse, un marchand n’a pas son mot à dire.”
— “Brûler la moitié de Caromago, une partie des installations de ma guilde, et l’émissaire de l’oracle Thomas,” énuméra Yassindo sur ses doigts. “Je suis navré, je pense être concerné par votre petite entreprise. Je peux l’arrêter ici même en vous laissant moisir dans vos cachots. Une surveillance renforcée saura venir à bout de vos petits coups d’éclat de prisonniers. Encore que, vous égorger m’épargnerais des efforts, du temps et de l’argent. J’ai tout à y gagner.” Yassindo regarda un à un les aventuriers, laissant le silence se prolonger plusieurs secondes. “Comprenez bien que je vous fait une fleur en vous écoutant.”
— “C’est que… Nous avons été trompés. Et nous avons retenu la leçon.”
— “Est-ce que tu nous payes si on exécute le contrat ?” Demanda tout à coup Lily.
— “Oui, bien sûr. Le coût de votre prime et des réparations de Caromago est porté par Emil. Je ne vous ferais pas travailler gratuitement. Vous recevrez une somme non-négligeable.”
— “Combien ? Il me faut du concret.”
— “Nous parlons d’un assassinat, et il y aura quelques contraintes… Si vous remplissez les termes du contrat, vous toucherez dix pièces d’or chacun. Sauf Emil, évidemment.”
— “C’est injuste…”
— “Marché conclu !” S’empressa de répondre la jeune elfe.
— “Lily !” Tonnèrent ensemble Hugoi et Aren.
— “Vous préférez croupir ici ou devenir ses esclaves ? Très peu pour moi.” Justifia la jeune elfe. “On sort d’ici, on récupère nos affaires, et on sera libre de reprendre notre mission après ce petit détour.”
— “Non, nous ne nous abaisserons pas à cette forfaiture !”
— “Reste ici alors, t’es personne pour décider à ma place. Comme tu l’as dit, on a mieux à faire.”
— “On a pas tellement le choix,” appuya Emil. “On ne survivra pas à Lonesam en se mettant à dos toute la guilde du Port massiglien. Ils ont un comptoir dans toutes les villes.”
— “Je pourrais vous laisser en cavale quelques jours pour faire monter les enchères, et je lancerais la chasse.” Avoua Yassindo. “Elfe, tu n’as pas l’air de comprendre. Si tu es encore en vie, c’est uniquement car Emil l’a demandé. Tu n’as aucune valeur à mes yeux. Je n’ai pas besoin de toi, et je commence à croire que ce groupe non plus pour fonctionner correctement. Continue de me gêner, et tu mourras.”
— “Vous vous pensez peut-être capable de me tuer ?” Défia Aren, fier de sa force en tant que mage de l’armée de Dafaorn.
— “Oui, et facilement.” Fit Yassindo d’un sourire, portant une main à l’intérieur de son veston.
— “On va pas se fâcher !” S’interposa Emil. “Ne vous en faites pas monsieur Vittori, on prendra le temps de convaincre Aren en chemin ! Il entendra la raison. Et toi Hugoi ? Tu comprends hein ?”

Le chevalier magique tapotait frénétiquement la table du bout de ses doigts, pesant le pour et le contre dans la proposition de Yassindo. En l’état, leur mission allait droit au mur. Comme le suggérait Emil, même en cas d’évasion, ils ne pourraient pas voyager sereinement à Lonesam en se méfiant de toute la population. Rencontrer l’oracle dans ces conditions relevait de l’utopie.
La menace des démons se faisait de plus en plus concrète pendant qu’ils perdaient leur temps ici. Ils avaient perdu deux semaines ici. Ou plutôt… Ces deux semaines étaient un pari d’Emil. Lorsque les mercenaires de la guilde de l’Épée des flammes leur étaient tombés dessus, l’ingénieur avait compris leur terrible situation plus vite que les autres. Ils n’étaient plus en état de se battre, et avec des chasseurs de primes sur le dos, auraient-ils réussis à voyager jusqu’à Massiglia ? Combien de semaines, ou de mois, auraient-ils perdus à contourner les routes principales, et à se justifier de l’incident de Caromago ? Ils se seraient retrouvés dans une impasse, devant régler le problème par eux-mêmes.
Hugoi sentait sa force déborder en lui. Terrasser un démon à lui tout seul lui apparaissant dans ses cordes. Cependant, la récupération prenait plus de temps que par le passé. Pourrait-il enchaîner les combats lorsque les démons attaqueraient en nombre, comme ce fut le cas sur le champ de bataille ?
Non. La force des oracles est indispensable pour sauver Meiralys… Et pour sauver Lily.
Bien que vénérant Asha, le chevalier magique ne doutait pas du caractère divin de Liarilia, l’exploration de Lumiriel n’avait fait que le confirmer. Et sa fille se trouvait mêlée à une quête mettant le destin de leur monde en jeu. Cela ne pouvait pas être une simple coïncidence. Le divin les guidait. Et Hugoi se trouvait d’autant plus réticent à accepter la mission de Yassindo.
Depuis qu’il était devenu aventurier, Hugoi avait fait beaucoup de concessions. Pour remplir le rôle, pour ne pas soulever de suspicions, et surtout, pour ne pas troubler sa conscience.
Se séparer de l’ordre, de la vertu, pour plonger dans l’avidité, le chaos, afin d’accomplir la mission sacré. Un monde divisé, en proie à la guerre, ne pouvait être le porteur d’un héros sauveur des peuples. Mais…
“Pourrais-je continuer à me présenter comme un chevalier magique de Vernor, si j’accepte de tuer une cible pour un contrat ? Si j’abandonne la justice pour devenir un meurtrier ?”
Hugoi fit rouler la chevalière attestant de sa position de capitaine dans l’ordre autour de sa phalange. Sa vie sous les ordres de l’oracle Tahyae et de Ditta, ses précieux souvenirs défilaient sous ses yeux.
“On s’en fout ! On voyage pour sauver Meiralys !”
Les mots d’Emil lui revinrent à l’esprit. Ceux qu’il avait prononcés à Port Grech, au moment de dire adieu à Vernor. Hugoi ne pouvait plus se permettre d’être naïf. D’un côté, le destin du monde, de l’autre, la vie d’un inconnu. Non… Sa fierté de chevalier magique.
Hugoi eut un haut-le-cœur. Il venait de se rendre compte de la nature du malaise, du dégoût qu’il ressentait quant à la proposition de Yassindo. Ce n’était pas la perte d’une vie innocente, qui allait de toute façon être abattue par le bras d’un démon tôt ou tard. Non. C’est bien sa fierté que Hugoi plaçait dans son statut de capitaine des chevaliers magiques qu’il souhaitait protéger. Un ordre de combattants valeureux, du côté du bien, admiré par ses citoyens. Hugoi refusait du plus profond de son être le marché du maître du Port massiglien par égoïsme.
— “Je…” Bredouilla difficilement le chevalier magique, alors que tous les regards s’étaient tournés vers lui. “Je suis prêt à l’écouter.”
— “Hugoi !” Tempêta Aren, choqué des mots que son camarade venait de prononcer.
— “L’écouter n’est pas accepter.” Reprit l’homme, dont les entrailles se tordaient suite à sa décision.
— “Monsieur Vittori, je vais vous—”
L’ingénieur fut interrompu par les rires de Lily. La jeune elfe n’en pouvait plus d’entendre son camarade s’exprimer aussi poliment. Elle s’était retenue à cause de la tension provoqué par Yassindo, mais maintenant que celle-ci diminuait, elle laissait libre cours à son amusement, et menacer de tomber de sa chaise.
— “Tu rigolerais moins si tu savais,” tiqua Emil.
— “Bien sûr m’sieur Nesidri”, se moqua l’enfant.
— “Tu allais dire ?” Pressa Yassindo, qui ne souhaitait pas perdre l’avantage psychologique pris sur le groupe.
— “Savez-vous ce qui a décimé la plus grande partie de nos armées le mois dernier ?”
— “Non,” avoua Yassindo. J’ai bien entendu mené mon enquête sur le sujet ; malheureusement, mes espions ont eu quelques difficultés à faire parler un champ de cadavres.
— “Je te demanderais un peu plus de respect,” intervint alors Ifkès. “Certaines de ces victimes sont des membres de ma guilde, tombés au combat pour remplir leur contrat envers Lonesam. Nous n’avons récupéré leurs corps que depuis deux semaines, et les crémations sont toujours en cours.”
— “Ca faisait un sacré tas.” Se remémora Lily, ignorant la demande du chef de la guilde de l’Épée des flammes.
— “En fait—”
— “Emil, attends.” Coupa à son tour Aren. “Ne lui raconte que le strict nécessaire. D’ailleurs, ne devrais-tu pas marchander ces informations ?”
— “Monsieur Vittori les prendra en compte, notre potentiel paiement augmentera en conséquence.”
— “Leur paiement,” corrigea le marchand. “Oui, je vais en tenir compte. Je n’ai aucun intérêt à attiser les tensions pour des piécettes.”
— “Des… Piécettes…” S’étouffa Lily, alors qu’elle voyait dans le contrat une somme considérable.
— “Nous partageons tous nos gains.” Tenta Emil. “Nous avons une bourse de groupe, et—”
— “Certainement pas.” Rejeta la jeune elfe. “Tu gardes tes dettes pour toi, et nous gardons ta part d’or.”
— “Ecoute la petite,” conseilla Yassindo. “Elle semble avoir une tête bien mieux faite que la tienne.”
— “Mais…”
— “Trêve de compliments.”
— “Je suis franc,” continua le marchand. “Je suis particulièrement dur envers les incapables, et je tends la main à ceux qui ont un talent. Toi, Lily, fait clairement partie de la seconde catégorie.”
— “Oh.”
— “Donc.” Appuya cette fois Emil. “Nos armées se sont fait rétamer par des créatures malveillantes, sorties de nulle part. On a rien pu faire. Même le bourrin qui joue avec vos geôles s’est fait retourner.
— “Au moins, j’ai combattu jusqu’au bout.” Interjecta Hugoi, qui trépignait sur sa chaise.
— “Des créatures ?” Interrogea Yassindo. “J’aimerais une description plus précise.”
— “La peau rouge sang, une carrure à faire gémir un orc, une forme humanoïde, la tête pleines de cornes et de crocs. Jusqu’à présent, nous en avons recroisé deux depuis la bataille de Ranuvai. Ils sont particulièrement difficiles à éliminer, leur chair se régénère rapidement. On a appris à Vernor que ces monstres sont appelés démons. A priori, ce sont les coupables des massacres de villages de ces derniers mois.”
— “Des démons ?!” S’écria tout à coup Ifkès.
— “Un problème ?” Demanda Yassindo, qui se gratta l’oreille suite à la réaction du guerrier.

Même le marchand avait été surpris par l’attitude d’Ifkès. Jusqu’alors impassible, il se tenait à présent le menton entre les doigts, et murmurait frénétiquement des propos inaudibles.
— “Excuse-moi, je peux te laisser avec les prisonniers ?” Demanda finalement Ifkès à son invité. “Je dois vérifier quelque chose dans mon bureau.”
Yassindo n’eut pas le temps de formuler sa réponse, qu’Ifkès était déjà bien loin, quittant la pièce au pas de course. Le marchand avait lui-même lu le terme démon à plusieurs reprises dans des ouvrages anciens, datant de l’époque où les humains étaient encore unis.
Ils étaient associés à une légende que Yassindo avait pris pour un vulgaire conte tant elle paraissait improbable. Ou tout du moins, jusqu’à la semaine passée. D’abord elle, et maintenant les démons. La légende renaissait sous ses yeux, et le groupe d’Emil en portait tout le poids. Cela suffisait à le convaincre de la véracité de ces dernières découvertes, elles n’étaient pas simplement une illusion.
Sacré Emil. Toujours à se fourrer dans les problèmes. C’est son plus grand talent.
— “Bien bien !” Fit Yassindo en tapant ses mains l’une contre l’autre, ignorant complètement que le départ d’Ifkès le laissait seul face aux aventuriers.
— “On attends pas le vioque ?”
— “Non. Il ne sert pas notre conversation. Donc, des démons. C’est terrible, j’imagine que vous avez passé des moments difficiles, pourtant ça ne m’explique pas le but de votre venue dans la région.”
— “Euh…” Bredouilla Emil. “On a vite compris que des soldats ou aventuriers ordinaires n’ont aucune chance face à ces monstres, alors… Alors on espérer obtenir l’aide des oracles.”
— “De quelle sorte d’aide parles-tu ? Ne me dis pas que tu espères les voir quitter leurs trônes respectifs pour arpenter le champ de bataille ?”
— “C’était l’idée.”
— “Navrant de naïveté”
— “Je sais.”
— “Utopique.”
— “Je sais.”
— “Dangereux.”
— “Je sais.”
— “Soit, je vous crois.” Décida Yassindo. “Je commence à comprendre ce qui s’est passé à Caromago. J’imagine qu’Elena vous a fait miroiter une rencontre avec l’oracle en l’échange de votre escapade mouvementé, avant de tenter de vous doubler ?”

Le marchand observa chaque aventurier, dans le silence gêné qui fût leur seule réponse. Hugoi baissait les yeux, honteux de s’être fait roulé de la sorte. Lily claqua simplement la langue, agacée par les souvenirs de cette mascarade. Aren tenait son regard, cherchant à définir s’il allait les tromper de la même façon que l’émissaire de Thomas. Quand à Emil, il apparaissait déçu de s’être fait escroquer misérablement, et en plus de devoir tout lui avouer.
— “Ne faites pas ces têtes,” déclara gaiement le maître de la guide du Port massiglien. “Vous allez le rencontrer, l’oracle Thomas.”
— “Pardon ?” Lâcha Aren, stupéfait.
— “Je suis Yassindo Vittori, elfe. Une audience avec l’oracle est une formalité pour moi, il missionne régulièrement ma guilde pour certains de ses projets personnels. Vous arranger une rencontre sera des plus aisés.”
— “Il dit vrai.” Confirma Emil.
— “J’ai du mal à croire qu’une personne de ce rang fasse partie de tes connaissances,” se méfia Aren.
— “J’étais aussi maître de guilde !” Se défendit l’ingénieur.
— “C’était avant ou après être devenu un clochard ? “
— “Pendant.” Répondit Yassindo à la place d’Emil. “Vous aider m’arrange également. Je ne doute pas votre histoire de démons. Des créatures qui ravagent les nations ne sont pas bien bon pour le commerce. Et dans la mesure du possible, je tiens à rester vivant encore quelques décennies. Si vous faire rencontrer l’oracle Thomas peut vous aider, je le ferais. A condition que vous remplissez votre contrat. Je prendrai mes propres dispositions si vous échouez.”
— “Nous pouvons déjà compter sur le soutien de l’oracle de Vernor,” ajouta Hugoi. “Avec Thomas, nous aurons fait la moitié du chemin.”
— “Laquelle ?” Fit tout à coup Yassindo, reprenant tout son sérieux. “Tahyae, ou la nouvelle ?”
— “Lyria.” Répondit fermement le chevalier magique, n’appréciant pas que le nom de son guide soit ainsi occulté.
— “Ahh…” Soupira Yassindo. “C’est dommage. On aurait dû se passer d’elle.”
— “Pourquoi ?” Demanda Lily. “On l’a déjà vu s’occuper d’un démon !”

Le marchand soupira de plus belle. Ils ne savaient pas encore. Forcément, après deux semaines enfermés dans des geôles, et un voyage difficile, ils n’avaient pas eu accès aux toutes dernières informations.
— “Ca ne me coûtera rien de vous expliquer…” Murmura Yassindo. “Et il vaut mieux que vous le sachiez. Lyria Volken, l’oracle de Vernor…”
— “Ah, elle a pris le nom de Ditta,” remarqua Emil.
— “Et son sale caractère.” Regretta Yassindo. “Laissez-moi vous donner un simple exemple. Le général Donovan Basevich de l’armée de Vernor préparait un coup d’Etat. Il attendait son heure dans la cité neutre de Port Grech, et il avait même le soutien de Dafaorn en la matière.
— “Un coup d’Etat ?!” S’exclama Hugoi, avant de jeter un regard noir à Emil.
— “Hé, t’as pris ta décision tout seul comme un grand,” rétorqua l’ingénieur. “T’étais pas obligé d’abandonner ton pote dans cette galère.”
— “Je vous rassure, ce n’est pas allé bien loin,” assura Yassindo. “Lyria a donné l’ordre, par le biais de sa mère adoptive, de mater cette rébellion. La nouvelle commandante des chevaliers magiques s’est chargée de transformer la ville en un terrain vague.”
— “Ouah… Lâcha Lily.”
— “Qui est-ce ?” Demanda Hugoi. “L’emploi d’une telle force est excessif, compte-t-on des victimes parmi les habitants ?”
— “Personne n’est mort. Que ce soit chez les chevaliers magiques, les traîtres ou les civils. Et ce n’est pas étonnant lorsque l’on connaît l’identité de la commandante. Olivie Berecht. Une ancienne oracle réapparu à notre époque. Elle est aussi dangereuse que sa légende le suggère.”
— “Ah merde.”
— “Cette folle, après ses sermons !” Cracha Aren.
— “Pas de pitié pour l’ennemi,” expliqua Hugoi après un court silence. “Elle applique la doctrine à la lettre… Port Grech n’est pas une cité de Vernor.”
— “C’est de la faute de Hugoi.” Conclut Lily.
— “Emil…” Intervint Yassindo d’une voix qui avait perdu toute sa gaieté.
— “O-Oui ?”
— “Ne me dites pas que vous êtes responsable du retour de cette furie à notre époque ?”
— “Quelle réponse vous conviendrez ?”
— “La vérité.”
— “Cela ne va pas vous plaire…” Bredouilla Emil.
— “Nous répondions à une requête de la déesse Asha, “expliqua Aren. “Nous agissions dans le cadre d’une mission divine.”
— “Ahh… des démons, une oracle, une déesse…” Enuméra Yassindo. “Emil, dans quel bourbier t’es-tu fourré ?”
— “Je me le demande.”

Yassindo prit quelques instants pour mettre de l’ordre dans ses pensées. Il devait recoller les pièces du puzzle qui avait conduit cette bande à se retrouver devant lui.
— “Soit,” dit-il après avoir pris sa décision. “Je maintiens mon offre. En échange de l’assassinat, j’oublierais votre mésaventure de Caromago, vous récupérez vos affaires confisquées par l’Épée des flammes, et je vous organise une rencontre avec l’oracle Thomas. Enfin, si vous venez jusqu’à Massiglia pour récupérer votre récompense.”
— “On accepte,” déclara Lily pour l’ensemble du groupe, les prenant de court. “Peut-on avoir les détails sur notre cible ? Nom, adresse, description, métier, occupations, habitudes ?”
— “Doucement,” demanda Yassindo, les mains en avant.
— “J’imagine que ce n’est pas un inconnu compte-tenu de ce que tu proposes…” Anticipa Aren.
— “Pas vraiment, non,” corrigea le maître du Port massiglien.
La réponse décontractée du marchand prit le mage à revers. L’offre qu’il représentait était beaucoup trop alléchante. La récompense était élevée, et il effaçait la lourde ardoise criminelle qu’ils avaient accumulée à Lonesam. Il ne pouvait pas avoir tenté de les embaucher par de tels moyens détournés pour se débarrasser d’un vaurien de bas étage. Pourquoi prendre la peine de les choisir eux spécifiquement, alors qu’une guilde de mercenaires pouvait accomplir l’assassinat ?
— “J’aimerais que vous me débarrassiez de Sergio Fortani. Il travaille à Memausus, chargé de l’exploitation des ressources de la ville, et de leur expédition vers Massiglia. Il est grand, dégarni. La cinquantaine, et il porte une moustache grisâtre du plus mauvais effet.
— “Il est du Port massiglien ?” Comprit immédiatement Emil.
— “Tu peux pas juste le virer ?” Demanda Lily.
— “Il est trop tard pour cela, et il me pose quelques tracas.” Appuya Yassindo, en se tournant lentement vers Aren, comprenant que le mage elfe serait le plus difficile à convaincre.
— “Alors comme ça, on peut causer des problèmes à un homme de ton importance ?” Railla le mage.
— “Plus qu’un elfe crevé, oui,” menaça le maître du Port massiglien.

Aren jaugea une nouvelle fois le marchand. Son regard sombre, malgré le sourire affiché, ne laissait pas le moindre doute sur ses intentions. Il le tuerait sans hésiter s’il continuait de gêner les tractations. Le mage décida de laisser al conversation se poursuivre normalement. Une fois libre, il aurait tout le loisir de pousser ses camarades à lui désobéir.
— “Qu’est-ce que vous entendez par tracas ?” Demanda finalement Emil, afin de relancer l’échange.
— “Nous sommes devant l’incarnation de l’ingratitude,” reprit Yassindo. “Les conditions de travail à la guilde du Port massiglien sont excellentes. La paye est meilleure que chez la concurrence, les horaires de travail ne sont pas excessives, et les employés ont même le droit à deux journées de repos hebdomadaire.”
— “Mais ?”
— “Ca ne lui suffit pas. Il revendique des salaires mirobolants, et un partage équitable des profits de la guilde entre chaque employé. Cela serait terrible pour les affaires, car notre trésorerie se viderait, et nous empêcherait d’investir dans de nouveaux commerces.”
— “Ou de payer des primes de criminels.” S’amusa Lily.
— “Les transactions de l’ombre sont indispensables au bon fonctionnement d’une guilde dans ce marché concurrentiel. Sergio a fondé un syndicat pour rassembler les employés autour de lui, et ses idées ont pris racine à Memausus.”
— “Je vois le problème,” lâcha Emil. “C’est en effet trop tard.”
— “Pas moi,” avoua Hugoi.
— “Ce Sergio,” continua l’ingénieur. “Il est devenu un gars plutôt connu au sein de la guilde, au moins localement. Si monsieur Vittori le vire, il risque de voir les gars contester son autorité. La seule solution est de le buter.”
— “Il n’est pas ouvert aux négociations ?” Demanda le chevalier magique.
— “Non,” s’agaça Yassindo. “Je reviens de Memausus, j’ai fait le déplacement pour faire la connaissance de cet… Employé. Il en ressort qu’il s’agit d’un utopiste imperméable au concept même de compromis. Ses demandes signeraient la mort de la guilde. En plus de mettre mes affaires en danger, il menace aussi la vie des autres membres avec ses idées.”
— “Et la raison de nous envoyer en lieu et place de l’Épée des flammes est… ?”
— “Vous n’êtes personne,” cracha Yassindo au mage elfe. “Un contrat avec l’Épée des flammes laisserait des traces, et mandater un de mes propres assassins jetterait le doute parmi les membres de la guilde.
Mais vous… Vous êtes des aventuriers. Emil a officiellement déserté, et Lily est justement connue comme une assassin aux ordres de l’armée de Dafaorn. Sa réputation atteint les faubourgs de la capitale. Maquillez la mort de Sergio en un accident, ou un coup du sort. La méthode vous regarde. Je vous demande simplement que personne à Memausus ne puisse faire le lien entre vous et moi.”
— “C’est dans mes cordes, affirma Lily. Au vu de la difficulté de la mission, et des informations qu’on t’a donné, je demande quinze pièces d’or chacun pour sa mort.”
— “Et je garde vos affaires,” répondit simplement Yassindo.
— “Ugh… Euh… Douze pièces d’or ?” Retenta Lily.
— “Je préfère. Je vais vous faire une avance de deux pièces d’or chacun, afin que vous puissiez louer un chariot de la guilde de Course-désert, ainsi que pour vous permettre de réapprovisionner le matériel dont vous avez besoin.”
— “On doit vraiment prendre un chariot ?” Déplora Emil. “Ca coute sacrément cher, alors qu’on peut chevaucher…”
— “Et vous laisser appâter par quelconque ruine que vous croiseriez en chemin ?” Coupa Yassindo. “L’assurance de vous voir arriver à bon port est une condition du contrat. Vous serez escorté par Course-désert.”
— “Un voyage confortable, un traitement équitable…” Se satisfait Lily. “Yassindo, comment on intègre ta guilde ?”
— “Après avoir accompli ta mission, si tu le souhaites,” sourit le marchand. “Je saurais employer tes talents, et je t’assure que tu ne manqueras de rien.”
— “Lily, n’oublie pas notre mission.” Gronda Aren.
— “Pas question que je pourrisse dans une cabane,” rétorqua la jeune elfe. “La guilde du port Massiglien semble s’aligner avec mes ambitions.”

Alors que le mage s’apprêtait à se lancer dans de nouvelles protestations, Ifkès refit son apparition à l’intérieur de la salle de garde, passablement tendu. Il était revenu de son bureau avec un cadre qu’il tenait précautionneusement entre ses mains. L’objet contenait un parchemin partiellement brûlé, le papier noirci semblait vouloir s’effriter au moindre choc.
— “Qu’est-ce ?” Demanda Yassindo, levant un sourcil alors que son intérêt s’éveillait à la vue du vieux document.
— “Le… Un des textes fondateurs de notre guilde,” expliqua Ifkès, le ton solennel. “Il est notre plus précieux trésor, plus ancien encore que Lonesam.”
— “Et ? Pourquoi le sortir ?”
— “Le texte mentionne les démons.”
Ifkès posa lentement le cadre sur la table, afin que tous puissent le lire. Seulement quelques lignes étaient encore visible.

Gloire à l’Enfant des flammes, l’élue de Cyvid.
Sa lame sacrée brûle de son brasier.
Sa chair est infusée de son propre feu.
Les ennemis de l’humanité périssent sous son courroux.
Dhampire, orcs, skyanos, ou même démons.
Rien ne peut échapper à sa fournaise.
Nous lui devons la survie.
Nous l’avons trahie.
Notre symbole est sa lame, nous resterons—

Les mots se perdaient en cendres, et rien ne permettait aux lecteurs de déterminer qui avait pu être l’auteur du texte. Pourtant, une lame perlait au coin de l’œil d’Ifkès. Son émotion à la lecture était palpable.
— “L’enfant des flammes…” Répéta Yassindo, avant de se laisser porter dans ses pensées.
Est-ce encore un tour du destin ? Je décide de les envoyer à Memausus, et tout les mets sur sa route. Le passé ressurgit avec de plus en plus de force…
— “Ca explique déjà le nom de la guilde,” déclara Hugoi.
— “Alors, ce ne sont pas que des mercenaires, ils ont l’air de la vénérer.”
— “Ce texte nous apprend que les démons ne sont pas un nouvel ennemi,” analysa Aren. “Dans le passé, cette Enfant des flammes les a affrontés, et vaincus. Nous devrions creuser cette légende dès que nous en aurons l’occasion. Les démons peuvent être repoussés. C’est une source d’espoir.
— “C’est cela, menez donc votre enquête,” incita Yassindo. “Cependant, n’oubliez pas que vous devez avant tout éliminer Sergio. Je vous conseille de ne pas vous comporter à Memausus comme vous l’avez fait à Caromago.”
— “Pourquoi ?” Fit Lily, pas impressionnée, et ne pouvant écarter la possibilité d’une nouvelle folie.
— “Vous mourriez. C’est une certitude.”
— “Ah.”
— “Nous ne comptions pas incendier d’autres villes.”
— “T’es sûr ?”
— “Oui Emil, j’en suis sûr.” Affirma Aren.

Le marché conclu, Ifkès indiqua au groupe le coffre dans lequel se trouvait leurs affaires. Les aventuriers purent récupérer leurs armes et équipements, ainsi que la bourse contenant leurs anciennes pièces elfiques. Lily s’occupa personnellement du transport de leur trésor.
— “On a de quoi se procurer en poudre noire dans votre fort ?” Demanda Emil au maître des lieux. “Et aussi divers pièces détachées pour que je confectionne des grenades et autres bricoles ?”
— “Qu’est-ce que tu entends par bricoles?” S’inquiéta Aren.
— “Mystère,” répondit l’ingénieur, qui cachait à ses camardes qu’il gardait toujours précieusement des plans récupérés à la tour de Ieasha. “On va en avoir pour une semaine à glander sur nos coussins pendant le voyage, j’aimerais expérimenter deux trois idées.”
— “Interdiction de faire quoi que ce soit.” Prévint Hugoi.
— “Hé, plus j’innove et plus notre force de frappe augmente ! Tu ne peux pas l’ignorer !”
— “Tu vas faire sauter le chariot, et nous avec.”
— “Peut-être.”
— “Je t’enfoncerais le crâne personnellement.”
— “Pff.”
Emil alla râler dans un coin de la pièce, faisant un inventaire précis de ses richesses, de son matériel, et de ce dont il avait besoin avant de quitter le fort Carsioli.
— “Il manque Okar !” Remarqua Lily. Rendez-le nous !
— “Okar ?”
— “Un crâne maudit.” Expliqua Ifkès. Les restes d’un orc qui parvient toujours à parler, et ses propos blasphématoires attestent de sa nature chaotique. On a fait venir une prêtresse pour l’exorciser.
— “C’est ça, bonne chance.” Ricana Lily, qui sentait toujours le lien qui l’unissait au crâne.
La jeune elfe se pensait à présent capable de renforcer ce lien en cas de besoin, et pourrait protéger leur camarade d’une agression extérieure. Une prêtresse ne ferait pas le poids contre la fille de Liarilia.
— “Avons-nous vraiment besoin de le récupérer ?” Se demanda Aren à voix haute, voyant le revenant comme une migraine permanente.
— “Carrément, il est indispensable.”
— “C’est notre plus précieux camarade.”
— “Un compagnon d’aventure, un frère d’armes.”
— “Il nous guide vers le succès.”
— “On serait perdu sans lui.”
— “J’en ai besoin pour dormir.”
Emil et Lily rirent aux éclats, alors que Hugoi expliquait la nature d’Okar à Yassindo, ainsi que son rôle lorsqu’ils avaient explorés les dernières ruines. Ses anciennes connaissances leur seraient indispensables.
— “Okar donc. Décidément.” Murmura le marchand. “Ifkès, rendez-leur le crâne, et demande à un de tes hommes d’avertir la guilde de Course-désert de leur arrivée.”
— “Pas question, ce crâne maudit va périr pour de bon ici.”
— “Tu m’as pas bien compris. Je t’ai demandé de leur rendre le crâne.”
— “Je refuse,” insista Ifkès, qui alla toiser le marchand de toute sa hauteur.
— “Amusant,” sourit Yassindo. “Tout aussi rafraîchissant que soit cette confrontation de testostérone, je n’ai pas le temps pour ton entêtement. Je ne crains certainement pas un vulgaire guerrier, et encore moins la guilde à son service. Que se passerait-il si je mettais toute l’énergie du Port massiglien dans le but de détruire la guilde de l’Épée des flammes ?
Voyons… Je pourrais commencer à couper tous vos ravitaillements. Il me suffirait de racheter vos fournisseurs, et j’ai l’argent pour ça. Je pourrais ensuite vous priver de vos jeunes recrues, en les débauchant à un meilleur prix. Avec vos dernières pertes, vous serez bien embêtez sans ces apprentis mercenaires. En quelques semaines, il ne resterait plus qu’une bande de vieux aigris affamés dans leur fort. Tu es sûr que tu ne veux pas leur rendre le crâne ?”
— “Je ne peux pas ignorer le mal.”
— “Ne soit pas idiot,” continua Yassindo, s’éloignant de quelques pas. “Ton organisation de mercenaires peut encore apporter beaucoup à Lonesam, ainsi qu’au service de ta cause. Tu mettrais tout cela en danger pour bannir une seule entité ?”

Ifkès se calma un instant. En tant que maître de la guilde de l’Épée des flammes, il devait maintenir le fragile équilibre entre leurs idéaux, et leur avidité. Avec le dernier désastre, et la mort de la plus grande partie de leurs forces, cette balance se trouvait en grand péril.
Leurs effectifs manquaient de vétérans, ceux qui après avoir étanché leur soif d’or, avait approuvé les véritables fondements de l’Épée des flammes. Un crâne maudit tombait bien pour Ifkès, qui comptait s’en servir pour montrer à leurs jeunes pousses qu’ils n’étaient pas de simples bêtes cupides, mais aussi le bras armé de leurs convictions. Une nécessité d’autant plus pressante si les démons, ennemis de l’Enfant des flammes, refaisaient leur apparition.
— “Tout ça n’a pas de sens si nous disparaissons…” Concéda Ifkès. “Tu as gagné, marchand. Je vais donner des ordres pour qu’on leur rende.”
— “Bien bien bien,” se satisfait Yassindo, tournant les talons vers la porte. Je vais retrouver Amanda pour qu’elle accepte le paiement. Ce sera un autre exercice pour elle. Après ça, je rentre à Massiglia. J’attends de bonnes nouvelles de votre part, aventuriers. Pas de coup fourrés.”
— “Non.”
— “Jamais.”
— “Prépare le formulaire pour entrer dans la guilde.”
— “On verra.”

Le marchand observa une dernière fois les aventuriers, et quitta la pièce. Après avoir passé une heure supplémentaire avec Amanda, à la forcer à entreprendre des négociations avec lui, il retourna vers l’escorte qui l’attendait à la sortie du fort. Dans son esprit, il estimait les gains potentiels de l’aventure des mercenaires qu’il venait d’engager, ainsi que les investissements nécessaires pour se préparer à la menace démoniaque.
Sergio en moins, de nouvelles personnalités du passé qui ressurgissent, les démons… Et ils ont l’orc du bosquet avec eux. Très intéressant. Que va donner leur rencontre avec elle… ?
— “Vera, Luca,” prononça Yassindo.
Une jeune femme et un homme surgirent des ombres du Fort Carsioli pour s’agenouiller devant le marchand. Habillés de noir, et armés de dagues, le couple ne laissait pas le moindre doute quant à leur profession.
— “Que pouvons-nous faire pour vous, maître ?” Demanda Luca, sans lever les yeux.
— “Suivez les aventuriers qui vont quitter le fort. Je veux savoir leurs moindres faits et gestes. Assurez-vous qu’ils débarrassent de Sergio, et gardez vos distances tant qu’ils n’agissent pas en dehors de leur mission.”
— “Et s’ils ne le tuent pas ?” Fit Vera, d’une voix claire attestant de son jeune âge.
— “Eliminez en priorité le mage elfe et le chevalier magique.” Indiqua Yassindo. “Soyez prudents, ils sont forts. Ramenez Emil vivant. Quant à la petite elfe, je vous laisse décider de son sort.”
— “J’ai déjà une idée…” Ricana Luca.
— “N’entreprenez rien tant qu’ils sont à Memausus.” Ajouta le marchand. “Attendez qu’ils arrivent jusqu’à Atermira.
— “A vos ordres, maître.”

Yassindo laissa ses assassins, et grimpa dans son carrosse. Un marché est un marché, et il espérait que les aventuriers ne sous-estimaient pas les enjeux.
— “L’Enfant des flammes, Candice Onora… Memausus pourrait être bientôt rayé de la carte.” Estima le marchand.


 

Merci Yassindo de mettre sous le tapis les conneries des aventuriers, ou au moins pour l’instant.

Il s’est passé bien des choses pendant leur captivité, et il va leur arriver encore quelques bricoles… 🙂

Oui, « Candice » est bien le personnage du texte « L’éternelle flamme »